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Interview de M. Amadou HOTT, Directeur Général du FONSIS

Interview de M. Amadou HOTT, Directeur Général du FONSIS

Amadou HOTT, directeur général du fonds souverain d’investissements stratégiques (FONSIS) : « Pendant dix ans, nous allons épargner 15 % de notre résultat net pour les générations futures »  

Le Fonds souverain d’investissements stratégiques (Fonsis), qui est également une société holding d’investissement, sera fonctionnel dès le mois de janvier prochain. Il est conçu pour être un véritable promoteur de l’investissement et un appui pour les Petites et moyennes entreprises (Pme). En plus, le Fonsis épargnera, pendant 10 ans, 15 % de son résultat net pour les générations futures, explique son directeur général, Amadou Hott.  

La mise en place d’un véhicule public d’investissements stratégiques, dont les fruits bénéficieront aux générations à venir, n’est donc plus l’apanage des pays du Golfe, de la Norvège ou de l’Angola et du Nigeria, assis sur une rente pétrolière, ou commerciale, comme le Panama et Singapour.  

Le Fonsis est un instrument innovant au Sénégal mais qui n’est pas encore bien connu du public. Pouvez-vous nous le présenter ?  

Le Fonds souverain d’investissements stratégiques (Fonsis) est une initiative du président de la République qui, dans son programme « Yoonu yokkuté », a promis de créer deux instruments dont le Fonsis et le Fonds de garantie des investissements prioritaires(Fongip). Je suis responsable du Fonsis, qui est une société holding d’investissement dont la création a été autorisée par une loi votée et promulguée l’année dernière. Maintenant, nous sommes en phase de mise en œuvre. Cette société holding d’investissement a des ressources qu’elle va déployer dans des projets, dans des sociétés existantes ou en difficultés, des projets structurants, bref, dans différents secteurs porteurs dans la perspective de relancer l’économie et de créer des emplois. Le Fonsis investit en fonds propres, c’est-à-dire qu’il est partenaire de l’investisseur. Par contre, nous avons un instrument frère qui est le Fongip, qui donne des garanties à un projet ou un entrepreneur pour que ce projet ou cet entrepreneur puisse obtenir des prêts auprès de la Banque nationale pour le développement économique (Bnde) ou des banques commerciales. Nous sommes donc complémentaires, en quelque sorte.

Quel est le profil de l’investisseur ou les projets visés par le Fonsis ?

Il y a deux types de projets. Il y a de gros projets structurants tels que les infrastructures comme les chemins de fer, les autoroutes à péage, les projets énergétiques qui mobilisent beaucoup de capitaux. Nous pouvons être des partenaires dans ce genre de projets où nous mettons notre capital aux côtés de l’investisseur sénégalais ou étranger qui veut investir dans ce genre de gros projets. Nous avons aussi une branche pour les Pme dans lesquelles nous investissons en fonds propres. C’est-à-dire que nous sommes dans le capital social de ces entreprises aux côtés de l’entrepreneur pour l’aider à restructurer sa société ou bien à réaliser ses projets. L’entrepreneur et le Fonsis vont chercher ensemble des financements auprès des banques locales ou internationales et réaliser ensemble les projets. C’est important de noter que nous sommes partenaires, c’est-à-dire que nous recevons les dividendes. Quand le projet marche, nous aussi nous gagnons. Mais quand il ne marche pas, nous ne gagnons pas, contrairement aux banques qui demandent des garanties, vendent les actifs et se font rembourser. Avant d’investir dans un projet, nous l’étudions pour nous assurer qu’il est bon. S’il y a des problèmes dans le projet, nos équipes conseillent l’entrepreneur afin que ce dernier puisse bien ficeler son dossier.  

Où est-ce que le Fonsis tire-t-il les ressources qui lui permettent d’investir ?  

La loi prévoit que le Fonsis reçoit du cash de l’Etat, donc du budget. Par exemple, cette année, nous avons trois milliards de FCfa, et ce sera aussi le même montant pour l’année prochaine, même s’il y a une possibilité, peut-être, de faire un peu plus en discutant avec l’Etat en fonction des projets. Mais le plus important, c’est que l’Etat transfère certains de ses actifs au Fonsis. Par exemple, le Fonsis pourrait utiliser les 10 % gratuits que l’Etat détient dans toutes les sociétés minières ainsi que d’autres actifs comme le foncier, afin de lever de l’argent supplémentaire lui permettant de prendre des participations dans ses propres projets ou ceux d’autrui que nous allons développer pour créer des emplois et surtout créer de la richesse.  

Le Fonsis est aussi présenté comme le bras armé de l’Etat. Pourquoi ?  

Quand je dis bras armé, c’est un bras armé privé parce que jusqu’ici, on a dit à l’Etat de sortir de tous les actifs de l’économie et de rester juste un régulateur. Avec le président de la République, je pense qu’il y a un changement de paradigme. L’Etat n’est pas seulement un régulateur, mais il doit être un bon facilitateur, un financier et aussi un opérateur. Mais l’Etat ne peut pas le faire directement, il doit se doter d’un bras armé comme le Fonsis qui va fonctionner comme le privé. Même si son capital appartient à l’Etat et ses démembrements, la gouvernance du Fonsis est purement privée. Nous avons aussi un mandat de développement, de créer des emplois, d’assurer le retour sur investissement, parce que les projets et les sociétés par lesquelles nous allons investir vont générer non seulement des emplois, mais aussi des profits pour l’Etat. Ils vont générer de la Tva, des taxes douanières, etc., que l’Etat peut recevoir et réinvestir dans l’économie, faire du social, et même donner plus de bourses familiales... Ce qu’on veut in fine, c’est de créer tellement de richesses que l’Etat n’aura plus besoin de donner des bourses familiales ou qu’il en donne ou augmente les montants alloués aux ayant-droits.  

Il est prévu, dans le Fonsis, la création d’un sous-fonds pour les Pme. Quel est sa mission ?

 Dans le Fonsis, il y a la partie investissement stratégique qui est un peu plus lourde, mais il y a aussi la partie Pme. Ce qu’on pense faire pour mutualiser des ressources, c’est de créer un sous-fonds qui nous permet d’investir. D’ailleurs, nous avons un organisme important de la sous-région qui, au-delà de nous donner des lignes de crédit, est déjà prêt à investir dans ce sous-fonds. Nous allons attirer d’autres investisseurs spécialistes des Pme qui n’investissent que dans ce secteur. Quand nous créerons ce sous-fonds, ils vont mettre leur argent et nous aussi le nôtre. Cela va constituer le sous-fonds dédié au renforcement du capital des Pme qui sont en difficultés ou bien qui veulent investir dans de nouveaux projets. Ce sous-fonds sera mis en place dès que possible. Quel est le montant total des fonds d’investissement dont dispose le Fonsis ? Dans la loi, le Parlement a prévu 500 milliards de FCfa, mais il a précisé que la majorité sera un actif parce qu’on sait effectivement que l’Etat n’a pas beaucoup d’argent. Mais il va donner une partie en cash et transférer des actifs intéressants qui peuvent même dépasser 500 milliards de FCfa d’ici les cinq prochaines années. Le Fonsis va utiliser ce cash et ces actifs pour lever des fonds. C’est pourquoi, dans notre équipe, nous aurons quelqu’un ou des gens qui se chargeront spécifiquement de la levée de fonds. Leur performance sera mesurée en fonction des montants qu’ils vont lever pour le Fonsis ou les projets du Fonsis.  

Quels sont les secteurs prioritaires qui sont ciblés pour des investissements ?  

Il y a, par exemple, l’agriculture qui est un secteur extrêmement important, notamment la transformation des produits agricoles qui peut créer beaucoup d’emplois. Il y a aussi les Ntics, les services tels que les calls centers et le secteur stratégique de l’énergie. Nous pouvons trouver des parts dans des projets « Producteurs indépendants d’électricité » (Ipp). Là, le risque est très faible parce qu’il y a un contrat d’achat-vente à longue durée avec la Senelec, la demande est là. Si le partenaire est crédible, s’il a les moyens techniques et financiers, nous pourrons nous adosser à ce partenaire. Nous allons prendre des parts, ce qui nous permet, durant les 25 prochaines années, de pouvoir, nous aussi, bénéficier de ces profits qui vont être générés par cet investisseur.  

A quand le démarrage des activités du Fonsis ?  

D’ici à la fin de l’année, nous aurons en place au moins 50 % de nos effectifs pour être très fonctionnel à partir de janvier. Nous avons commencé à identifier des projets. Il y a des projets de transformation des produits agricoles qu’on nous a déjà proposés. Outre l’agriculture, nous avons aussi des projets dans la construction. Plus nos équipes seront en place, plus nous allons étudier tous les projets qui nous seront proposés afin de bien identifier ceux qui sont rentables. Parce qu’on ne peut pas aussi se permettre de perdre de l’argent public. Car, même si on lève de l’argent supplémentaire, c’est quand même l’Etat qui nous donne des actifs qui ont de la valeur et des milliards de FCfa cash sur ses maigres ressources. Alors si nous n’investissons pas bien, nous ne pourrons pas rembourser les capitaux que nous levons et nous risquons d’avoir des difficultés avec les actifs. Il est donc nécessaire que nous soyons sélectifs. Nous demandons aux entrepreneurs Sénégalais qui ont la capacité et la motivation et qui sont prêts à mettre de l’argent dans des projets de venir nous voir. Ils vont trouver un instrument de l’Etat qui a la capacité financière et qui n’est pas gourmand parce que le taux que nous allons exiger sur cet investissement sera moindre par rapport à un fonds purement privé. Nous serons moins regardant certes, mais il faut qu’il y ait un minimum de rentabilité pour qu’au moins, les coûts de financement que nous supportons puissent être remboursés par la rentabilité sur les fonds propres que nous mettons dans les entreprises. Au-delà, il y a l’impact économique et social du projet qui est bien pris en compte.  

Le fonds prévoit aussi d’investir pour les générations futures. Comment cela va-t-il se faire?  

C’est une innovation de taille en Afrique. Partout dans ce continent, jusqu’ici, les Etats empruntent et les générations futures payent. Conformément au souhait du président de la République, nous avons décidé d’épargner, durant les dix premières années de fonctionnement du fonds. C’est-à-dire que chaque année, nous prenons au minimum les 15 % du résultat net du Fonsis que nous mettons de côté pour les générations futures. Ce n’est qu’à partir de la onzième année que l’Etat pourra tirer sur ces réserves en cas de force majeure constatée par le président de la République et validée par l’Assemblée nationale. Il faut que le Parlement approuve pour que le gouvernement puisse tirer sur ces réserves qui seront gérées de manière conservatrice. Nous voulons, dans dix ans, que les réserves soient là quand nous en aurons besoin.  

Quelle est la place du privé dans cette société holding d’investissement ?  

Je demande aux privés et à tous ceux qui ont un projet qu’ils estiment rentable, générateur d’emplois et de richesses, etc..., de ne pas avoir peur de se lancer. Qu’ils sachent aujourd’hui qu’il y a un instrument qui les accompagne financièrement, techniquement, et même sur le plan de la structuration de leurs projets. Nous aurons les compétences qu’il faut, avec des experts dans divers domaines qui sont prêts à travailler avec le Fonsis pour accompagner les différents projets.  

Ceux qui ont des difficultés, mais qui ont un business plan correct, peuvent se rapprocher de nous pour que nous puissions travailler ensemble. Nous sommes en même temps fédérateur et investisseur, mais aussi catalyseur de projets nationaux comme étrangers.  

Propos recueillis par Adama MBODJ  

Source de l'article:Le Soleil